Perte de désir et charge mentale
- frédéric lacrabere

- il y a 1 heure
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Aujourd'hui je tente un nouvel exercice. J'ai eu envie d'imaginer une interview avec une patiente imaginaire mais qui ressemble à tant de femmes qui viennent à la consultation.
Interview : Jeanne, 48 ans — Perte de désir et charge mentale familiale
Interviewer : Bonjour Jeanne, vous avez évoqué une baisse progressive de votre désir sexuel. Comment décririez-vous ce changement ? Comment et en combien de temps avez-vous vu cela arriver ?
Jeanne : Ce n’est pas arrivé d’un coup, je le sentais arriver depuis des années. C'est marrant comme on parle en années qui défilent à un moment de sa vie ! C’est plutôt comme si quelque chose s’était éteint lentement. Je gère presque tout : les enfants, les rendez-vous, les courses, les problèmes du quotidien. À la fin de la journée, je n’ai plus d’espace mental disponible pour le désir. Je n’ai même pas l’idée du désir. Mon mari m'aide, il ne faut pas croire qu'il soit absent mais il a une carrière prenante et il est régulièrement absent.
Interviewer : Vous faites un lien direct entre charge mentale et sexualité. Comment s’impose ce lien au quotidien ?
Jeanne : Je suis toujours en train d’anticiper. Qui doit aller où, ce qu’il manque pour les repas, ce qu’il faut organiser pour le week-end. Nous avons deux enfants mais les âges sont très différents, 4 et 11 ans. Même au lit, mon cerveau continue à tourner. Je ne me sens pas disponible, je pense à la gymnastique, aux courses en drive, au repas avec mes parents ce week-end... Est-ce que c’est la charge mentale seule qui impacte tout ça, ou est-ce que c’est juste moi qui ne sais plus lâcher prise ? Je n’en suis pas sûre.
Interviewer : Comment votre partenaire perçoit-il ce changement ?
Jeanne : Il voit bien que je suis épuisée, mais je crois qu’il a du mal à mesurer l’effet sur le désir. Il a aussi du mal à trouver comment m'aider à cause de son travail. Notre vie dépend en bonne partie de son salaire et à part une oreille attentive il ne peut pas faire grand chose. Il pense que c’est aussi une question de “prendre du temps à deux”. Mais ce n’est pas juste une question de temps. C’est une question d’espace intérieur. Et ça, je ne sais pas comment le retrouver.
Interviewer : Vous sentez-vous capable de lui expliquer ce que vous vivez ?
Jeanne : Je lui explique, oui, mais est-ce que je formule vraiment ce que je ressens ? Peut-être pas. J’ai souvent l’impression que si je dis que je n’ai pas envie, cela va blesser. Alors je me tais. Et en me taisant, je renforce le problème. Mais dire les choses ne garantit pas que ça change. Il demande de moins en moins et ça me va comme ça mais je vois bien que c'est quelque chose qui s'installe et qui est plutôt négative pour nous deux.
Interviewer : Avez-vous identifié des moments où le désir revient, même légèrement ?
Jeanne : Oui, parfois, quand je suis seule, quand rien ne m’est demandé. Mais dès que je reviens dans le rythme familial, c’est comme si tout se refermait. Je me demande si le désir est vraiment absent ou simplement étouffé. Je n’ai pas encore la réponse.
Interviewer : Qu’est-ce que vous attendez aujourd'hui ?
Jeanne : Je voudrais comprendre ce qui est encore possible. Est-ce que le désir revient une fois que la charge mentale diminue, ou est-ce que j’ai changé profondément ? Et puis : comment faire baisser cette charge sans que ce soit vécu comme un reproche ? Je n’ai pas de solution. Je suis encore dans le constat.
Quels seraient aujourd'hui mes premiers conseils à Jeanne ?
1. Clarifier ce qui pèse réellement
Avant toute action, Jeanne doit identifier ce qui constitue la charge mentale : organisation familiale, tâches invisibles, responsabilité émotionnelle, anticipation permanente. Sans cette précision, tout conseil risque d’être à côté. Peut être est ce le besoin qu'ont beaucoup de patiente de vouloir tout faire et tout porter ? La culpabilité d'être une mauvaise mère, une mauvaise épouse, de gérer sa carrière. Il faut apprendre à se questionner.
2. Vérifier si la baisse de désir est un symptôme ou un signal
Le désir peut s’éteindre sous la fatigue, mais parfois il pointe vers autre chose : absence de soutien, perception d’injustice, solitude dans le couple. Jeanne doit se demander si le problème est l’épuisement… ou le sentiment d’être seule à porter. Dans le manque de désir, des fois c'est le manque de lien et d'amour qui surgit.
3. Redistribuer concrètement les responsabilités
Pas un “il faut que tu m’aides”. Une réorganisation précise : qui fait quoi, quand, avec quelle autonomie. Si le partenaire n’assume pas cette redistribution, le désir risque de ne pas revenir, même en diminuant la charge. Le secret c'est de parler de tout, même des petites choses comme emmener les enfants au foot !
4. Retrouver un espace mental personnel
Un minimum d’espace non négociable : temps seul, silence, activité choisie. Si Jeanne ne retrouve jamais cet espace, le désir ne pourra pas réapparaître. La question : est-elle prête à protéger cet espace, même si cela dérange l’organisation familiale ? Son mari doit comprendre qu'il doit trouver du temps à LUI dégager.
5. Parler de l’impact sur le désir, pas seulement de la fatigue
Dire clairement :“Quand je porte tout, mon désir disparaît. Ce n’est pas une question d’amour mais de surcharge.” C’est un message simple, mais qui oblige le partenaire à entendre la dimension relationnelle du problème.
6. Examiner ce qui se passe si la charge mentale baisse… et que le désir ne revient pas
Hypothèse possible, souvent évitée. Jeanne doit être prête à reconnaître cette situation si elle se présente. Cela change le type de travail à mener : ce n’est plus une question logistique, mais émotionnelle ou relationnelle.






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